lundi 15 décembre 2014
Disparition de l'appétit
Quand je sors du métro un livre à la main, je m’aperçois qu’il pleut. Une bruine de décembre dans les normales saisonnières. Je protège tout de suite le livre sous mon manteau. Je ne pense pas à me protéger moi. Je n’ai pas peur de la bruine. Je préfère protéger le livre qui lui me protège de tout le reste.
Je prends le bus et j’ai la nausée.
Je n’ai plus peur du métro ni du bus depuis que je prends des cachets aux noms de super-héros qui me donnent le courage d’affronter les gens mais qui me donnent en prime : la nausée.
Je n’ai plus d’appétit pour rien. Même les verres d’eau je les avale comme des médicaments parce que je sais que c’est important. Je ne veux pas mourir. Caroline parle toujours de mon incroyable pulsion de vie. Je ne sais pas où elle voit ça en moi. Mais je l’écoute avec attention, bienveillance. Elle fait de même. C’est une thérapie.
J’avale aussi de grandes tasses de thé à la menthe qui est la seule chose qui ne me dégoûte pas d’avance.
Je suis fatiguée tout le temps dans le corps, épuisée des muscles, des tendons, des doigts, des paupières, et mon cerveau au contraire pétille et s’agite comme un bal des pompiers. Ils ne se mettent pas d’accord alors parfois je dors trois heures, parfois trente.
Au Cube tous me regardent avec je ne sais quoi de compassion je ne sais quoi de condescendance, parce que le bruit court que je peux fondre en larmes à n’importe quel moment.
C’est vrai. Je n’avais pas pleuré depuis des mois, il faut bien rattraper toutes les émotions cachées profond si longtemps. Alors oui, parfois, elles ont un mauvais timing.
Ce matin j’arrive en retard et le Troupeau a couvert mon bureau de paquets cadeaux, tous contiennent des choses à manger que je ne mangerai pas mais je dis merci pour les paquets, merci pour les papiers brillants, merci pour la gentillesse. Le Troupeau va être là toute la semaine et chaque soir sera débordant de mondanités et de nourriture que je ne pourrai pas refuser alors on va lutter contre tout ça, mes super-héros et moi, on va essayer de survivre à cette semaine-là.
Ce matin en réunion mon esprit s’évade. En ce moment comme il fait froid, je m’imagine serrer un corps fort contre moi. Parfois c’est Tigre, parfois c’est Maja. Parfois c’est juste un corps anonyme. Le powerpoint défile avec des chiffres partout dessus et moi j’imagine mon corps contre un autre corps, pas forcément nus, mais collés, aimants, doux, chauds. Des animaux qui se protègent.
J’ai désespérément besoin qu’on me protège.
Je ne suis plus amoureuse. Pour la première fois de mon existence, mon cœur ne s’élance vers personne, vers rien. Caroline dit que c’est une bonne chose, que je peux enfin penser à moi, tomber amoureuse de moi. Je l’écoute encore une fois. Je dis « oui ». Je n’y crois pas trop.
J’essaie de m’enthousiasmer, au moins, si ce n’est tomber amoureuse, alors parfois ça marche et je fais des lasagnes. Parfois ça ne marche pas et je dors trente heures pour faire des rêves qui ne me conviennent pas non plus.
Je n’ai plus d’appétit pour rien ni pour personne.
Restent les livres.
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